Avec Muses contemporaines de Savoie, sales Rémi Mogenet dresse le portrait des écrivains savoyards ayant œuvré de 1900 à nos jours. Une idée cadeau pour Noël, adiposity et l’occasion d’interviewer un ami érudit.

Il y a quelques mois, nous avons reçu dans La Voix Louis Terreaux pour évoquer avec lui l’histoire de la littérature savoyarde, à l’occasion de la sortie du livre qu’il a consacré à ceux qui ont manié la plume dans notre contrée. Celui que vient de publier Rémi Mogenet peut apparaître comme un complément. Car si l’ouvrage dirigé par Louis remontait aux origines de cette littérature - riche mais trop méconnue - et était essentiellement consacré aux œuvres écrites dans une Savoie qui n’était pas française, celui de notre ami Rémi se focalise sur le 20ème siècle. C’est une galerie de portraits d’écrivains dont les écrits datent d’après 1900, principalement une compilation de chroniques parues durant cinq ans dans l’hebdomadaire Le Messager. Alors avec Noël qui approche, c’est l’occasion de vous donner deux idées de cadeau pour montrer que la Savoie, c’est aussi des livres, des auteurs, qui ont immortalisé l’esprit savoyard.

Cela s’est d’abord fait de manière très explicite lorsque notre région n’était pas française, puis de façon nettement moins manifeste depuis cent cinquante ans. Mais avec ces deux livres parus cette année, voici venu le moment de redécouvrir les différentes facettes de notre littérature. On vous invite donc à nouveau à vous plonger dans le livre de Louis Terreaux, mais aussi dans celui de Rémi Mogenet que nous avons la joie de recevoir aujourd’hui pour qu’il nous parle de ses muses contemporaines.

Rémi, après la lecture de ton livre, on se pose d’abord une question : que reste-t-il de savoyard dans une littérature qui de fait est devenue française ?

Il y a déjà les auteurs patoisans, ceux qui reprennent le folklore ou les poètes qui évoquent les paysages savoyards. Il y a aussi toutes les allusions au patrimoine historique et culturel, avec par exemple Valère Novarina dont l’œuvre est parsemée de référence au patois ou à des grands écrivains savoyards comme Joseph de Maistre et Jeanne Guyon. Mais globalement, c’est une littérature plutôt traditionnelle, pour ne pas dire conservatrice, voire provinciale. Elle tend ainsi finalement à suivre des règles ou des impulsions qui viennent de Paris, d’un point de vue idéologique, mais tout en étant en même temps attachée aux paysages savoyards. 

Louis Terreaux relève qu’en devenant française, la Savoie a finalement perdu sa spécificité littéraire.

Il n’a pas tort, car au 20ème siècle, elle suit beaucoup plus ce qui se fait à Paris qu’au 19ème. Il n’y a plus de référence à l’ancienne Savoie quand la littérature se veut d’un certain niveau. On évite aussi ce qui ferait référence à une religiosité trop savoisienne, et il y a un rattachement aux principes agnostiques qui prévalent à Paris. 

Les auteurs savoyards auraient-ils renié ce qu’ils étaient ?

Je ne pense pas, c’est juste qu’avec la centralisation de l’éducation, le ton a changé et la bonne éducation vient de Paris. Donc on n’agit pas par reniement, mais inconsciemment par soumission à la culture dominante transmise par l’éduction officielle. 

Quel est alors l’intérêt de se pencher sur cette littérature ?

Le lien avec le territoire qui permet de connaître des écrivains du lieu où l’on vit. C’est toujours agréable d’avoir le sentiment que des écrivains pensent, ressentent, imaginent en fonction de sa région. D’autre part, ces auteurs transfigurent le paysage en y ajoutant le contenu de leur âme. 

Cela n’est pas forcément typique de la Savoie.

Non, mais c’est typique dans la mesure où ça nous rattache au paysage, ce qui, c’est vrai, est universel. Reste que le paysage change selon les lieux, donc ce qui s'en dégage comme atmosphère ne provient pas vraiment des auteurs, mais de l’endroit dans lequel ils évoluent. Chez certains, cela peut-être conscient, mais ils sont une minorité. Après, de mon point de vue, la littérature traite de l’âme des choses que l'âme humaine perçoit. Or les choses qui d’emblée sont étrangères ne sont pas perçues au premier abord comme des choses familières. Tolkien disait que pour qu’un mythe fonctionne, il faut qu’il s’enracine dans quelque chose de familier. Dans l’abstrait, ça ne fonctionne pas. 

D’où l’importance des paysages.

Ce sont des paysages eux-mêmes que viennent les pensées, à condition que le poète parvienne à percevoir ce qu’ils lui disent. 

La poésie a une grande place dans ton livre. Pourquoi ?

Parce que ce sont les poètes qui entendent le mieux ce que peut dire intérieurement un paysage. Mais je parle aussi de romanciers, de dramaturges et d’historiens. 

La poésie écarte-t-elle ce qui peut renvoyer à un point de vue politique ou identitaire ?

Elle peut s’enraciner dans le folklore ou l’histoire. Elle le faisait jusqu’au 19ème siècle. Mais la poésie abstraite tend à gommer ce qui reste de l’ancienne Savoie. Le poète va dans l’abstrait car il a peur des symboles religieux, identitaires, politiques. Et si au 19ème siècle un auteur comme Jacques Replat s’enracinait dans des références à la dynastie des Savoie, les poètes modernes ne veulent pas se mouiller. C’est une poésie qui n’est pas très engagée, mais de toute manière les Savoyards ne sont pas des gens qui s’engagent. Ils évitent d’ailleurs les extrêmes. En Savoie, on reste prudent, on ne mettra plus en avant son côté catholique par exemple. 

Ce fut pourtant la grande particularité de la littérature savoyarde.

Oui, avec le lien à la dynastie. Mais les poètes modernes n’en parlent plus trop, ils ne veulent pas être explicite car souhaitent être regardés comme des auteurs intelligents par les élites parisiennes. Des gens revenus de la religion, de la royauté. 

Se coupent-ils alors de leurs racines ?

Ils ne le pensent pas, et croient les avoir retrouvées par la méditation sur les paysages. Toutes ces références culturelles se superposent sur les paysages. On les regarde en profondeur et on ressent la nature, un peu comme Rousseau. Les poètes veulent retrouver une certaine fraîcheur, au-delà des références culturelles, en allant voir la nature. 

Une sorte de littérature écolo ?

Il y a de ça quand devant un paysage champêtre on tend à vénérer la nature. Les auteurs sont souvent des vieux qui votent plutôt à droite, mais ils se disent amoureux de la nature. 

Tu dis aussi que la littérature savoyarde est assez bourgeoise, comme les auteurs qui l’incarnent. On pense notamment à l’un des principaux écrivains du 20ème siècle, Henri Bordeaux.

La Savoie est plutôt démocrate chrétienne ou de droite, et cela se retrouve dans la littérature avec une sorte de conservatisme provincial, qui s’oppose à une culture urbaine et progressiste. C’est aussi devenu une littérature post catholique, avec des auteurs catholiques qui ne veulent plus se définir comme tels, relativisant leurs racines. Ils renient non pas la Savoie mais leur héritage catholique. Et l’acceptation par les esprits d’une éducation nationale symbolise un refus de la tradition. C’est que si l’on accepte facilement les symboles de l’éducation nationale, cela signifie que les anciennes traditions n’arrivent plus à convaincre. François de Sales apparaît ainsi aujourd’hui comme un peu mièvre alors qu’autrefois c’était une sorte de mage. Il y a désormais un sentiment de doute, de détachement. Les progrès de la science tendent à relativiser les visions du monde qui s’accompagnaient d’une conception de la nature différente. Mais ceci n’est pas particulier à la Savoie, cela concerne plus généralement l’occident. La Savoie avait tendance à rester dans sa bulle, mais au 20ème siècle, celle-ci a crevé. Toute proportion gardée, il s’est passé un peu la même chose que pour le Tibet avec la Chine. Un passage assez brutal d’un monde catholique et dynastique à un monde rationaliste et scientifique. 

Pourquoi évoques-tu essentiellement dans ce livre des écrivains du département de la Haute-Savoie ?

Tout simplement parce que je vis en Haute-Savoie, et comme tout est lié à l’environnement, je suis touché par des auteurs qui vivent dans un environnement que je connais. 

Mais du coup, tu passes à côté d’auteurs renommés qui sont aussi des amis de La Voix, comme André Palluel-Guillard, Louis Terreaux ou Jean Bertolino.

C’est sûr qu’il manque des auteurs, par exemple Frison Roche. Et puis j’évoque peu d’universitaires ou d’historiens, sachant que ceux dont je parle sont surtout originaires du Faucigny, ma province natale. Donc quand on parle d’histoire, c’est surtout l’histoire du Faucigny. 

L'histoire de ton coin, ce qui fait penser qu’avec ce livre tu parles aussi de toi.

Je n’ai pas parlé de moi mais de mon environnement et de poètes qui peuvent le transfigurer. Comme c’est mon environnement, je me confonds avec, et montre que la Savoie historique a tendance à se dissoudre dans l’espace français. Tout cela avec une forme de centralisme faucignérand, en partant de la Vallée du Giffre. Je centralise ainsi autour de moi en essayant de combiner cela avec l’histoire de la Savoie. 

Propos recueillis par Antoine Foray



Muses contemporaine de Savoie (Editions Le Tour, 18 euros) est disponible sur le site de Decitre, au magasin Decitre de Chambéry, dans les librairies de Bonneville, Cluses, Sallanches, La Roche sur Foron, Samoëns, Albertville, Moutiers et Bourg Saint Maurice, ainsi qu’en le commandant sur le site des Editions Le Tour.

 

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